La ruelle de Weltverein, comme de coutume, était complètement déserte. Seul un rat ou deux hantaient encore les lieux, grignotant quelques détritus immondes, abandonnés ça et là par les rares passants qui s'aventuraient encore dans ce coin morbide de la capitale moldue allemande. Tout y était sombre, délabré, les lieux empestaient une indescriptible odeur, et le bâtiment du 29 Weltvereingasse était dans un tel état qu'il menaçait de s'effondrer du jour au lendemain... Rien, non, rien n'était attirant dans cet endroit. Du moins pour le commun des mortels. Car, secrètement, c'est ici que travaillaient une kyrielle d'individus revêtant des robes et des chapeaux hétéroclites.
Il était tôt, approximativement 5h00 du matin, lorsque retentit une légère détonation, dans un recoin sombre et particulièrement discret de la ruelle. Surgissant du néant, un homme, baguette de bois à la main, scrutait les ténèbres environnantes. Il épousseta son costume, très sobre, puis s'avança en direction d'un réverbère, situé à environ 30 mètres devant lui. Là, il s'immobilisa. Une fois de plus, elle était en retard... L'homme rangea sa baguette dans une poche de son pantalon, spécialement prévue à cet effet. Il attendit quelques minutes... puis, ne voyant personne le rejoindre, se remit en marche, arpentant la sinistre ruelle.
Le sorcier ne s'arrêta qu'une fois en face du 29 Weltvereingasse. Il s'avança vers la bâtisse, sortit une vieille clef de sa veste de costard, l'introduisit dans la serrure, puis s'en servit pour déverrouiller l'accès. Le mécanisme d'ouverture se montra particulièrement lent et bruyant. Lorsque la porte libéra enfin le passage, la silhouette s'y engouffra.
- Guten morgen Herr von Wyssenbach... Wie geht es Ihnen? Der Chef wartet auf Sie hinüber in seinem Büro. Sie sollten sich beeilen.
Un minuscule sorcier, paré de vert de bas en haut, venait de souhaiter la bienvenue à Dietrich, en lui rappelant que son supérieur l'attendait déjà dans son bureau. Le noiraud acquiesça comme suit:
- Salut Trevor... Je vais bien merci. Je me rends de ce pas chez Herr White. Tu n'as pas vu Vreni par hasard?
Trevor fit non de la tête, alors que Dietrich s'avançait déjà vers l'escalier qui menait aux étages supérieurs. Si de l'extérieur, la bâtisse du 29 Weltvereingasse semblait vouée à un effondrement prochain, ce n'était là que pure illusion. En fait, les bureaux étaient flambants neufs, constamment entretenus par le service technique magique. Ils abritaient les collaborateurs sorciers du journal Berlinerzeitung, un quotidien plutôt local, destiné comme son nom l’indique à la communauté sorcière berlinoise.
Par trois fois, le poing de Dietrich percuta la surface lisse de la porte du bureau de White.
-EINTRETTEN !
La porte coulissa, et le jeune Dietrich von Wyssenbach pénétra dans le bureau du dénommé White. C’était un vieil homme, la septantaine, légèrement ventripotent, farouche journaliste en son temps. Il avait hérité de la gestion de la Berlinerzeitung suite au décès du précédent rédacteur en chef, Erald Kunstschwer. Sa voix était rude, mais son ton bienveillant. Il ne fallait surtout pas le contrarier.
- Dietrich ?! Vous, ici, si tôt? Ca tombe bien, je voulais vous voir. J’ai une mission à vous confier, c’est… délicat. Mais je pense que si quelqu’un peut y parvenir, c’est bien vous. Voulez-vous prendre place ?
Le jeune journaliste s’exécuta, et s’assit sur une chaise, en face de son interlocuteur, piqué par la curiosité. Manifestement, il allait bientôt être l’auteur d’un sujet chaud, un article sensationnel, qui ferait la une. Cela avait quelque chose d’excitant et de passionnant à la fois. L’expression figée, le regard immobile, parfaitement de marbre, Dietrich attendait la suite des évènements avec impatience. Intérieurement, il bouillonnait.
- Les chiffres sont mauvais. Le journal se vend moins ces derniers temps, et les actionnaires veulent une amélioration de nos résultats. Ils attendent, de l’audace, un coup d’éclat. Entendons-nous, vos investigations nous ont déjà permis de titrer quelques éditions à un nombre d’exemplaires jamais atteint. Mais là, je veux… quelque chose d’un autre ordre. Il hésita un moment avant de lâcher finalement le morceau.Je veux une interview du Lord britannique, celui-dont-on-n’ose-prononcer –le-nom…
Dietrich blêmit, et un long silence s’installa. Le journaliste, déstabilisé par cette requête, réfléchissait à toute vitesse, incapable de trancher entre les qualificatifs de « brillante idée » et « fâcheux délire ». Approcher Lord Voldemort n’avait rien d’une partie de plaisir et Dietrich doutait du fait que celui-dont-on-ne prononce-pas-le-nom soit séduit à l’idée de répondre sagement aux questions d’un journaliste allemand. Dans tout les cas, il risquerait sa vie dans l’affaire… Excitante perspective, pour un homme qui a toujours voulu se faire une place dans l’histoire, se frayer un chemin digne de ses plus lointains ancêtres, les mages du domaine de Wyssenbach, jadis les sorciers les plus craint de Suisse. L’aristocrate laissa passer un soupir, puis enfin, prit position.
- Je ne sais pas encore si j’accepte de faire ce que vous me demander d’entreprendre, Herr White. Mais je pars un mois. Je quitte l’Allemagne pour l’Angleterre, et peut-être aurez-vous de mes nouvelles prochainement…
Dietrich laissait planer un doute quant à ses intentions, mais en réalité, il était décidé à prendre quelques risques en vu d’atteindre l’objectif fixé par son supérieur. De plus, ce travail, laborieux, s’accordait assez bien avec une mission plus officieuse. Le devoir de surveillance des Augen. Si tout se passait bien, peut-être pourrait-il user de son statut de journaliste pour approcher le Lord, et en apprendre davantage sur ses vues. Dans tout les cas, il devait en parler aux Autres. S’ils étaient d’accord, il partirait ce soir. Sinon, un mois de vacances ne lui ferait pas de mal. Dietrich von Wyssenbach quitta sa chaise, et ajouta :
- Vreni n’est pas encore arrivée au bureau, n’est-ce pas ? … Non, c’est ce que je pensais. Sur ce… Herr White…
Le jeune homme adressa un dernier signe de tête à son supérieur, avant de se retourner, quitter la pièce, dévaler les escaliers, saluer une nouvelle fois Trevor, et rallier un lieu secret où il contacterait d’autres Augen… Quelques heures encore, puis il quitterait son domicile de Köln pour le Royaume-Uni. Londres était fort accueillante à cette période de l’année.